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La procédure d’urgence pour gérer ses envies - #1 : repères théoriques


Dans mon dernier article, je vous ai parlé de l’envie.


Nous allons maintenant aborder, dans deux articles successifs, la "procédure d’urgence pour gérer les envies".


1er temps (le présent article) : des repères théoriques

2e temps : des conseils pratiques (à venir)




Objectif : le titre de champion


Commençons par… le moins important : le nom de votre procédure d’urgence.

Comment la baptiser ?

Assez naturellement, j’ai pensé à la "Procédure d’URgence pour Gérer les Envies".


Petit problème…

Ça donne l’acronyme PURGE. Appliqué à la masturbation compulsive, il est un peu trop équivoque... Il pourrait prêter à confusion et laisser croire que la meilleure façon de gérer une envie… est d’y succomber en "purgeant les circuits"… En médecine, ne parlait-on pas autrefois des humeurs superflus à purger ? Laissons de côté ces remèdes de nos grands-mères. Dans le domaine historique, les grandes purges staliniennes ne sont pas non plus une bonne référence : vous pourriez penser qu’il faut vous débarrasser des "opposants politiques". N’allez pas vous mutiler en vous coupant les mains (ou d’autres membres)... D’ailleurs, je précise ici un point : ce n’est pas à cause de son absence de bras que je fais souvent référence au manchot. C’est parce qu’il présente de nombreux points communs avec l’homme sur le plan comportemental (article à venir sur ce sujet…).


Je vous propose donc plutôt le sigle PSG : "Plan Spécial de Gestion". Grâce à ce bon plan, je vous Paris (pardon, je vous parie) que vous deviendrez à très court terme champion de France de la gestion de vos envies. Voire champion d’Europe, si vous persévérez… Mais n’allons pas trop vite !


Votre PSG pourra être complété par le RPG (plan de Relance Post-Glissade). Ce dernier vous aidera à vous relever illico après un accident et à poursuivre votre marche vers l’eau libre. Comme l’arme nucléaire, le RPG a vocation à ne jamais servir, en tout cas le moins souvent possible.

Droit au but ! Mais lequel ? Arrêter le porno, et pas céder à vos envies


Vous l’avez compris, l’envie pousse toujours à aller droit au but, mais au mauvais : partir dans la compulsion. Ses assauts sont orientés dans une seule direction. L’idéal, pour l'envie, c’est que vous lui cédiez. Que vous mettiez le ballon au fond du filet le plus tôt possible après le coup d’envoi.


Alors attention à ne pas vous tromper d’objectif… Droit au but, oui, mais vers l’eau libre (cf. l’article sur le sevrage). Grâce à votre PSG, vous allez disposer d’un outil pour vous aider à ne pas faire de sortie de piste. Le vrai changement consiste à atteindre la côte en tombant le moins souvent possible et en vous relevant après chaque dérapage.

Cloué au sol !


Il me semble utile de faire ici un très bref rappel concernant votre fonctionnement. Chacun de vos comportements automatiques est initié par un "déclencheur", indépendant de votre volonté : une situation, un événement, une première pensée ou émotion.


En réaction, trois processus se mettent en marche :

  • Un événement cognitif : des pensées automatiques, quasiment inconscientes, qui correspondent à une appréciation mentale de la situation. Ces pensées précédent l’émotion.

  • Un événement émotionnel : des ressentis dans votre corps et le jugement qui leur est associé (ex : j’ai peur). L’émotion et les pensées interagissent et se renforcent mutuellement.

  • Une impulsion, suivie éventuellement d’une action.

Nous avons là comme une fusée, avec trois étages.



Le saviez-vous ? C’est cette fusée qui est représentée... sur le blason du PSG. N’êtes vous pas frappé par leur ressemblance ?



En cas d’envie, pour ne pas passer en mode "automate", il vous revient d’agir sur ces 3 étages distincts de la fusée, d’actionner ces 3 leviers. En fonction de la situation, de votre expérience, de votre aisance, de votre personnalité, vous pourrez choisir sur quel élément porter votre intervention d’urgence.

1 - 3e étage de la fusée (mental) : clouer le bec à votre bandit manchot

Le changement, c’est-à-dire votre sortie de l’addiction, va nécessiter un travail de fond sur le plan cognitif. Cette démarche mentale consiste à prendre de la distance avec les "pensées-prisons" qui vous enferment dans vos comportements compulsifs. Vous aviez pris l’habitude d’obéir à cette petite voix dans votre tête, le bandit manchot, qui vous susurre des idées fausses. Mais ces pensées ne sont pas des ordres. Alors rien ni personne ne vous oblige à y obéir. Vous avez le droit à l’objection de conscience ! Face au bandit manchot, c’est vous qui avez le dernier mot. Clouez-lui le bec. Que le bandit manchot devienne un manchot muet !


Vous connaissez peut-être cette formule du philosophe Descartes : "Je pense donc je suis" (= ma pensée est une preuve que j’existe). Imaginons que "suis" est la conjugaison du verbe suivre et non être. La parole de Descartes se révèle tout à fait pertinente pour décrire le processus mental en jeu dans l’addiction : "Mes pensées font de moi un suiveur". En l’occurrence un suiveur du bandit manchot et des ordres qu’il me donne.


Soyons fous. Ajoutons une lettre, une seule, à la formule du philosophe (pardon, M. Descartes) : "Je pense, donc je subis".

Aussi, pour arrêter de subir votre comportement, je vous invite à prendre tout simplement de la distance avec les pensées qui vous font souffrir, vous piègent, vous enferment.

2 - 2e étage de la fusée : consentir à vos émotions et prendre contact avec vos sensations

Je ne cesse de vous le répéter : les émotions, même désagréables ne sont pas mauvaises. Elles sont la vie. L’addiction qui vous blesse est probablement une manière de fuir ces émotions, de les anesthésier pour ne pas avoir à les affronter. Et c’est justement parce que vous êtes dans une logique d’affrontement que vous subissez "votre" problème.


Il vous revient, sur le plan théorique, conceptuel, d’accepter les émotions, d’adhérer à l’idée qu’elles font partie de la vie, qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises. Elles vous sont indispensables pour connaître vos vrais besoins et vous adapter à votre environnement. C’est peut-être une révolution pour vous ? Pourtant cette "conversion" est indispensable. Dans le même ordre d’idée, vous devez accepter la survenue en vous des "élans", des "pulsions". Élan n’est pas comportement. Pulsion n’est pas compulsion. Ce qui compte, c’est l’orientation que vous donnez à ces mouvements, c’est l’acte que vous allez poser (ou pas), avec l’appui de votre intelligence et de votre volonté


Le fait d’adopter une posture d’acceptation comporte un autre avantage : il contribue à diminuer la force de l’envie. Il la rend plus gérable, moins impressionnante. Cette attitude, bien que contre nature, est particulièrement efficace.


Sur le plan pratique, il vous faut apprendre à "apprivoiser" vos émotions, de manière à pouvoir les accueillir au lieu de les fuir, les accompagner au lieu de les contrôler. Combien, parmi mes patients, témoignent de leur absence totale de proximité avec leur univers émotionnel… La découverte de cette planète inexplorée (un "gouffre de Padirac", comme me l’a dit l’un d’entre eux) est souvent une révélation, une expérience décisive.


Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : accepter et accueillir les émotions ne signifie pas se laisser emporter, dominer par elles. Mais quand on n’ouvre pas la porte pour recevoir le message que l’émotion vient nous transmettre (c'est sa mission), celle-ci entre par effraction en passant par la fenêtre.


Une émotion est comme une vague. Vous ne pourrez jamais l’empêcher de s’exprimer. Si vous essayez de la fuir, vous risquez de boire la tasse, voire d’être englouti. Si au contraire vous l’accompagnez, vous restez à sa surface le temps nécessaire, en prenant certes quelques gouttes (mais que préférez-vous : être un peu mouillé ou vous noyer ?) Enfin, la vague vous dépose en douceur au bord de l’eau.



Les deux volets – théorique et pratique - de la gestion émotionnelle demandent un entrainement, une pratique. J’aborde plus en profondeur cette question dans la partie #7 de ma méthode. En parallèle de la reprogrammation mentale, la gestion des émotions est le second pilier du changement.

3 - 1er étage de la fusée (comportemental) : appliquer des gestes barrières

Vous ne voulez plus de vos compulsions ? Vous en avez assez de faire la marionnette ?

Souvenez-vous de l’image de la fusée empruntée plus haut : tant que celle-ci n’a pas décollé… elle est encore au sol, sur l’aire d’envol.


Je rectifie : même quand la fusée a décollé, tant qu’elle n’a pas atteint le 7e ciel, vous avez encore prise sur les événements. Une anecdote pour l’illustrer. Pendant un temps (certain), un de mes accompagnés s’est trouvé aux prises avec ce que nous avions baptisé des "débuts d’accidents". Ce jeune homme succombait parfois à ses envies… mais était suffisamment motivé pour s’arrêter en cours de vol et faire demi-tour (pour être très clair, il interrompait sa masturbation). Je ne savais plus quoi faire… En définitive, je crois que c’est l’image de la grenade défensive dégoupillée entre les mains qui a fini par clouer le bec à son manchot…


En d’autres termes, tant que l’envie n’a pas donné lieu à une action, rien n’est perdu. Vous avez la possibilité de reprendre le contrôle de vous-même jusqu’au dernier instant. Et l’expérience montre qu’un geste élémentaire de refus peut constituer le grain de sable dans la mécanique bien huilée d’un "cycle addictif". Contrairement au Petit Poucet, vous n’avez même pas besoin d’une poignée de petits cailloux ! Un grain de sable peut suffire à gripper, bloquer les rouages de l’automate surentraîné. Un simple geste est déjà un commencement de révolte. Tenir quelques secondes, et c’est gagné ! Et seul le premier pas coûte !


Pour vous libérer de vos automatismes préjudiciables, perdez donc de vue l’idée de lutter frontalement contre eux – donc aussi contre vous-même : vous devez plutôt remplacer ces mauvais "plis" par de nouveaux, plus efficaces, plus adaptés, et surtout plus conformes à vos valeurs. Ces alternatives comportementales, nous les appellerons… vos gestes barrières.


Les gestes barrières s’acquièrent avec un peu d’entraînement : répétitions à froid, visualisation en situation… En les apprenant, vous allez d’une certaine manière vous reconditionner : au lieu de répondre aux futures envies par "votre" compulsion habituelle, vous serez en mesure d’appliquer ces gestes, quasiment sous forme réflexe.


Pour finir, retenez ceci : impulsion n’est pas action. Le pilotage, c’est pas automatique. Il y a bien un pilote dans l’avion : vous. C’est vous qui tenez le manche à balai. Pas votre envie. Pas votre maudit bandit manchot.

Rappel : un PSG isolé est un PSG superflu

Votre procédure d’urgence ne sera efficace sur le long terme que si elle s’inscrit dans une démarche plus globale. J’attire donc votre attention sur les 3 points particuliers suivants :


  1. Prenez en compte vos coupe-gorges : je veux parler des situations à risque. Elles sont de deux ordres : les moments de fragilité entraînant le recours à votre doudou émotionnel ; certains contextes bien précis dans lesquels, même sans forcément vous sentir mal, vous tombez dans la compulsion par réaction auto-conditionnée. Ces situations, Supprimez-les, limitez-les, anticipez-les, gérez-les.

  2. Faites un travail de fond sur les plan mental (les pensées-prisons) et émotionnel (le consentement aux émotions).

  3. Élaborez votre plan de relance post-glissade (RPG) de manière à vous relever immédiatement après un accident et à reprendre la route (article à venir).


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