Durant votre "grande marche du retour", c’est-à-dire la période de changement (sevrage), vous allez peut-être (ou pas !) faire face à des envies incontrôlables de recourir à votre "doudou". La "grande marche" est une période de rééquilibrage mental, neuronal et comportemental : il est donc tout à fait normal que vous rencontriez des secousses pendant quelques semaines.
Afin de ne pas subir passivement ces turbulences et éviter des passages à l’acte accidentels (les "glissades incontrôlées sur la banquise"), je vous encourage à mettre en place une procédure d’urgence spécifique : ce sera votre plan de gestion des envies. Vous devrez élaborer cet outil aussitôt votre décision de changer effective. En agissant dans le bon tempo, vous bénéficierez en effet de votre motivation initiale.
Le plan d’urgence est capital : il vous permettra de gérer les éventuelles tentations avec plus de sérénité et d’efficacité. Il est donc l’une des clés du changement.
Mais avant de parcourir quelques conseils, rappelons ici ce qu’est une envie...
L’envie incontrôlable du porno et de la masturbation est comme un tsunami
L’envie constitue la manifestation typique – spectaculaire et pénible - de l’addiction au porno et à la masturbation. Elle est d’ailleurs commune à toutes les addictions. C’est un mouvement très puissant qui pousse la personne dépendante à "vouloir malgré elle" recourir à son comportement (ou produit) soulageant. Pris dans l’envie, l’individu addict agit comme un pantin, une machine, un robot, et le ressent comme tel.
L’envie mobilise toutes les dimensions de la personne et entraîne des tensions qui peuvent être extrêmement fortes. Sur le plan cognitif, elle focalise les pensées et la concentration : pendant quelques minutes, il n’y a plus beaucoup de place pour d’autres objets dans le champ de la conscience. Sur le plan physique, elle se manifeste par un ensemble de sensations dans le corps : c’est un mélange variable d’éléments plaisants (excitation, anticipation de la jouissance…) ou plutôt désagréables (émotions perçues comme négatives donc à éviter à tout prix, anticipation des conséquences nocives du comportement compulsif…).
L’image du tsunami - au moins de la vague - évoque assez bien la forme et l’intensité de l’expérience vécue à l’occasion d’une envie. La personne confrontée à cette force irrépressible, impérieuse, peut avoir le sentiment qu’elle va perdre la raison - « péter les plombs » - si elle résiste à la vague qui déferle à l’intérieur d’elle-même. Elle est persuadée qu’il n’est pas possible de s’apaiser : la vague est irrésistible et va tout emporter sur son passage. Ce qui est une erreur. Elle croit aussi que le phénomène sera interminable. D’où cette appréciation de situation : "Je ne peux pas, je ne veux pas, vivre avec la perspective de devoir affronter éternellement cette force. Plutôt mourir… ou recourir à ma bouée de sauvetage pour mettre fin efficacement à cette séquence…". Ce qui est une seconde erreur. Voilà deux fausses idées à ajouter à la longue liste des "pensées-prisons" nécessitant une reprogrammation mentale !
Quoi qu’il en soit, l’envie génère une impulsion puissante, c’est-à-dire qu’elle met en mouvement, pousse à agir. En l’occurrence à réaliser le comportement susceptible de procurer un soulagement immédiat. Et paf, c’est le dérapage incontrôlé. On parle alors de compulsion : bien que machinal, l’acte est effectif.
Envie… de ne plus avoir envie du porno !
"Mater en automate" : cette expression (un peu familière, certes) exprime bien toute la détresse de l’individu blessé par l’addiction au porno. Se voir agir malgré soi. Être témoin, en même temps, d’un comportement et de sa condamnation. Se prendre soi-même la main dans le sac, en "flagrant délire" (Raymond Devos).
Cette expérience blessante entraîne deux effets redoutables : de la honte ; et une sensation – à la fois mentale et physique - de scission, de dédoublement.
Confrontée à des envies pendant le sevrage en dépit de sa ferme décision d’arrêter, la personne dépendante peut ressentir une forme d’injustice : on fait mieux comme récompense à ses efforts ! Dans ce cas, le risque principal est de se décourager, se démobiliser.
Mais avec le temps, grâce à l’acquisition de compétences (mentales et émotionnelles) et l’entretien de la motivation, les envies diminuent en intensité et en fréquence. Elles finissent par disparaître et n’être plus qu’un lointain souvenir.
Envie d'être à nouveau en vie
Il n’existe pas à ce jour de données scientifiques permettant de déterminer avec précision le temps d’un sevrage. Certains chercheurs affirment que 3 mois au minimum seraient nécessaires au cerveau pour se rééquilibrer sur le plan neuronal. Mais en réalité la durée varie sensiblement selon le type d’addiction (la désaccoutumance d’une personne alcoolique est longue et difficile, par exemple). Bien évidemment, elle dépend aussi de chacun : type de personnalité, parcours de vie, ressources, motivation, etc.
Mon expérience de thérapeute me laisse penser que, s’agissant de la pornographie et de la masturbation, il faut entre 1 et 3 mois à un adulte accompagné et armé des bons outils pour retrouver une autonomie satisfaisante. Ce laps de temps correspond à un suivi variant entre 5 et 10 entretiens.
Ainsi, en quelques semaines, la plupart de mes accompagnés atteignent l’eau libre. Ils sont même parfois étonnés de la vitesse à laquelle ils effectuent leur grande marche du retour… : "Déjà ?!". Cette surprise et cette joie sont d’autant plus intenses quand les personnes souffrent depuis… des décennies.
Pour comprendre les mécanismes neurobiologiques de l’addiction et replacer l’envie dans un contexte plus général, je vous invite à lire mon article : Comment devient-on addict ?
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