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L'addiction au porno, ou garder le contrôle par la fuite


Au point de départ des addictions, il y a en général le même but : à tout prix, ne pas souffrir. Et pour y parvenir, un moyen : garder le contrôle... en fuyant. Explications.



La pratique compulsive du porno et de la masturbation vous fait souffrir ? Dans les moments difficiles, vous avez le sentiment de fonctionner comme un automate, comme une machine ? Vous désirez tourner le dos à ces comportements mécaniques mais vous échouez de manière répétée ? Vous luttez de toutes vos forces depuis longtemps mais vos combats sont le plus souvent couronnés d’échecs successifs ?


Vous avez décidé de prendre tous les moyens pour vous libérer pour de bon ?


Arrêtez-vous un instant.


Attendez avant de sortir une fois de plus de votre tranchée et de monter à l'assaut de de votre meilleur ennemi.


La première étape pour tourner le dos au porno consiste non pas à vous précipiter à découvert dans le no man's land, mais au contraire à déposer les armes et à changer de point de vue sur "votre" problème.


Bien sûr, ce renversement théorique auquel je vous invite n’est pas suffisant (il va aussi falloir vous retrousser les manches) mais il est nécessaire. Il oriente l’ensemble de votre démarche dans une direction radicalement nouvelle : vous allez vous reconnecter à vous-même au lieu de continuer à vous faire du mal... en fuyant.



L'addiction, ou LA stratégie d'anesthésie


Le croyez-vous ? Votre addiction est une stratégie inconsciente pour fuir les "événements" psychologiques que vous percevez comme inopportuns : pensées dérangeantes, émotions désagréables... C’est une manière d’éviter ce qui vous déplaît.


Voilà une réalité pour le moins paradoxale : vous vous êtes résigné à perdre le contrôle de certains de vos actes alors que votre but initial était justement de garder le contrôle dans des situations problématiques. L’histoire de votre addiction a donc probablement commencé par une intention positive : gérer votre mal-être, ne pas perdre vos moyens, vous sortir d’un problème, aller mieux.

Il faut reconnaître que les effets à court terme (quelques secondes à quelques heures au maximum…) d’un comportement addictif sont relativement agréables. Donc très efficaces en termes anesthésiants. Jusqu’à preuve du contraire, la jouissance sexuelle solitaire est le sédatif le plus disponible et le plus réactif qu’on ait trouvé…


Parfois, l’addiction est davantage la conséquence d’une quête de sensations que d’une véritable fuite. Certains types de personnalité avides d’excitation deviennent addicts par goût excessif du plaisir.

Mais qu’il s’agisse de la fuite d’un malaise ou de la recherche d’un plaisir, on reste dans une logique destructrice de court-circuitage : la jouissance est poursuivie comme une fin, indépendamment de l'action bénéfique pour la survie qu'elle est censée couronner. Dans ces conditions, le cerveau primitif déraille et le circuit de la récompense s'emballe.


Le désir de changement et d’arrêt apparaît en général quand les effets négatifs à moyen et long terme surpassent les conséquences positives à court terme (l’addiction n’a pas d’effets bénéfiques dans la durée…). C’est probablement à cette prise de conscience que vous êtes parvenu aujourd’hui (ou que vous allez bientôt parvenir, je vous le souhaite de tout cœur !).


La personne dépendante jouit d’un curieux "privilège" : pouvoir s’observer en train de réaliser des comportements mécaniques tout en ayant conscience qu’elle ne les cautionne pas. Sa principale souffrance découle de la sensation – à la fois psychique et physique - de dédoublement et de domination par une force extérieure. Cette perte de contrôle suscite un fort sentiment d’humiliation. En effet, l’être humain ne tire-t-il pas toute sa noblesse de la capacité à se libérer des instincts bestiaux ? Et la honte s'avère d’autant plus intense que le comportement compulsif en question a trait au domaine sexuel : la sexualité fait résonner à la fois le plus essentiel et le plus intime de l’être humain.

Quoi qu’il en soit, votre recherche initiale de contrôle a finalement débouché sur une perte d’autonomie. La fuite de vos pensées et émotions considérées comme problématiques – à tort, nous le verrons – vous a fait basculer peu à peu dans une relation toxique, un lien malsain. Disponible, prévisible et réactif, votre comportement-plaisir s’est transformé en un compagnon indispensable.


Mais j’ai une bonne nouvelle : vous n’avez plus besoin de ce doudou (ou appelez-le comme vous voulez : bouée, pansement, roue de secours, béquille…) !


Le bon et le mauvais… contrôle


À présent, vous êtes parfaitement conscient que votre addiction résulte d’une tentative – inconsciente et bien intentionnée – pour conserver une forme de contrôle sur vous-même et sur votre environnement. Bien que ce but positif ait entraîné une perte de "souveraineté" (drôle de récompense…), il n’y a pas de fatalité. Ici et maintenant, le changement est possible.


Pour tourner le dos à l’addiction, vous devez commencer par arrêter de batailler contre vous-même. Cessez de faire le mauvais "contrôleur".


Le mauvais contrôleur est comme le mauvais chasseur : quand il voit un truc qui bouge (à l’intérieur de lui), il tire sans sommation !


Oui mais qu’est ce qu'un bon contrôleur ?


La question se pose à deux niveaux.

  • Premier niveau : tout d'abord, qu'est-ce qu'un bon contrôle ?

  • Deuxième niveau : à quelle étape du processus comportemental faut-il exercer ce bon contrôle ?


Contrôler n’est pas… se mater


Premier niveau de la question : qu'est-ce qu'un bon contrôle ?


Définissons d'abord le bon contrôle par son contraire.


Le mauvais contrôle correspond à une forme de "maîtrise".


Maîtriser est synonyme de dompter, dominer par la force voire la violence. La maîtrise sous-entend le volontarisme, la lutte contre soi-même, une certaine "ascèse", une austérité mal placée. Ce combat fratricide est nécessairement contre-productif puisqu’il mobilise inutilement beaucoup d’énergie et peut entraîner une certaine dureté vis-à-vis de soi-même.


Le thème de la maîtrise est souvent à l’origine de visions maladroites et culpabilisantes à propos du supposé manque de volonté des personnes addictes. Laissez-moi vous partager une réflexion : "J’ai de très bons amis addicts et je sais qu'ils ont autant de volonté – sinon plus – que beaucoup d’autres personnes que je connais"… Plus sérieusement : le manque de volonté n’est ni la cause ni la conséquence de l’addiction. L’individu devenu dépendant – si tant est qu’on puisse en dresser un portrait-robot – n’a pas manqué de volonté mais peut-être plutôt de compétences cognitives et émotionnelles. Rappelons l’un des mécanismes clés de l’addiction : dans le feu de l’action, la volonté est court-circuitée par les déséquilibres neuronaux du circuit de la récompense. La volonté est certes indispensable pour arrêter, mais à condition d’être mobilisée de manière adéquate, c’est-à-dire en priorité dans un travail de fond "à froid" en amont des comportements addictifs. Enfin, je rappelle que l’allié n° 1 pour arrêter n’est pas la volonté mais la motivation.



Pour certains - des observateurs mais aussi des acteurs directement concernés, la logique de maîtrise se décline aussi dans l’idée qu’arrêter implique de "tenir". C’est un piège. Je développe ce point dans un article consacré au sevrage, ici. De même, l'emploi de termes tels que "rompre" pour évoquer le changement est à éviter. On se rompt les os, le cou… On rompt avec son ex. Tout cela ne laisse pas de bons souvenirs. La rupture implique une cassure. Or, le changement doit se faire en douceur. Tout sauf la fracture. La seule rupture qui convienne ici, c’est la rupture des amarres, en référence à la navigation : remonter l’ancre comme une manière de renoncer à la maîtrise paralysante et statique, à la toute-puissance. C’est la perte de contrôle qui permet la mise en mouvement. Dans le contexte de cette métaphore navale, le terme "tenir", mis à l'index plus haut, prend un sens plus ajusté : tenir le cap de la libération ; et non tenir, à la force du poignet, je ne sais quel couvercle sur la marmite des pensées et des émotions.

Pour illustrer la démarche de lâcher-prise, certains thérapeutes proposent l’image du tir à la corde. Savez-vous quelle est la manière la plus efficace de se débarrasser d’un adversaire dans cette discipline ? Lâcher la corde, tout simplement.



Tourner le dos au porno compulsif (et à la masturbation) n'est donc possible qu'à condition de sortir de la logique de combat, de volontarisme. A vouloir continuer à se battre en duel avec "son addiction", on court le risque de tomber dans une dépendance de substitution. En effet, sans travail de fond pour arrêter le mauvais contrôle, le besoin de "lâcher du lest" se transplantera forcément dans un autre comportement compulsif. Ce n’est pas le but…


Bref, pour arrêter de mater du porno, arrêtez de… vous mater, et de vous maltraiter.


Le bon contrôle, alors ?


Au contraire du mauvais chasseur, le bon contrôleur… ne tire jamais, même quand il voit un "truc" qui bouge.


Le bon contrôle, c’est l’attitude qui "vise" (sans tirer) à donner un sens aux événements et aux actes : enregistrer (accueillir) ce qui est en train de se passer dans l'environnement, la tête et le corps ; puis réfléchir, trier, décider, et enfin agir (ou pas).


En un mot, c'est faire appel à sa raison.


Bien entendu, dans certains cas, les automatismes ont du bon. Ils permettent de réagir rapidement face à l’urgence ou d’accomplir des actions simples du quotidien (comme se laver les dents…).

Arrêter de se battre ne signifie absolument pas renoncer à changer, à tomber dans la passivité le fatalisme.


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